M.-A. Kaeser: De la mémoire à l'histoire

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Titel
De la mémoire à l’histoire : l’oeuvre de Paul Vouga (1880-1940). Des fouilles de La Tène au « néolithique lacustre »..


Herausgeber
Kaeser, Marc-Antoine
Reihe
Archéologie neuchâteloise, 35
Erschienen
Neuchâtel 2006: Service et musée d'archéologie (Neuchâtel)
Anzahl Seiten
168 S.
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Marie-Hélène Grau

Conçu comme une forme d’hommage à celui qui fut en quelque sorte le premier archéologue cantonal neuchâtelois (p. 17), le présent ouvrage, publié sous la direction de Marc-Antoine Kaeser, intervient de manière tout à fait opportune, et probablement non fortuite, alors que l’archéologie neuchâteloise est en passe d’aborder un tournant décisif dans ses activités de recherches au sens large. «En matière d’archéologie comme ailleurs, la rétrospection ne se cultive qu’en période de doute ; au coeur de l’action, lorsqu’il s’agit de mettre à exécution des projets déjà établis, il n’est ni possible ni profitable de méditer longuement sur le passé. Lorsqu’il s’agit de définir les options futures, en revanche, le regard historique prend tout son sens. » (p. 16)

Le choix de composition de ces «mélanges», qui donne la parole à différents spécialistes s’exprimant dans le prolongement de certains sujets abordés par Paul Vouga, éclaire particulièrement bien l’envergure et le caractère complet de l’activité du savant, foisonnante et rigoureuse à la fois, alliant les travaux de terrain à la réflexion théorique.

Marc-Antoine Kaeser (pp. 11-31) esquisse, en début de volume, une série de tableaux historiographiques qui posent, à la manière d’une « biographie intellectuelle », le décor que constitue la jeune discipline archéologique dans la première moitié du XXe siècle en Suisse et à Neuchâtel, et dans lequel Paul Vouga développera son parcours scientifique. Ce premier exposé trouve une issue en forme d’ouverture puisque M.-A. Kaeser y présente les différents auteurs réunis autour du projet ainsi que leur contribution, offrant par là un tour d’horizon rapide et alléchant de l’ensemble (pp. 22-28). Après les textes scientifiques de Jacques Bujard, Denis Genequand, Michelle Joguin Reguelin, Claus Wolf, Noël Coye, Cynthia Dunning, Gilbert Kaenel et Pierre-Yves Chatelain, les lignes de Jean-Pierre Vouga viennent enrichir le propos en lui apportant une note plus personnelle; au moment de prendre congé du personnage, ces mots sont bienvenus.

Base documentaire essentielle, un inventaire commenté des archives concernant les travaux de Paul Vouga conservées à Neuchâtel est présenté en fin de volume par Natacha Aubert ; la bibliographie de l’archéologue neuchâtelois est également réunie, basée sur le travail de M.-I. Cattin publié en 1990 dans le Musée Neuchâtelois. Avec une thèse intitulée « Essai sur l’origine des habitants du Val-de-Travers », Paul Vouga dévoile, à 25 ans, son intérêt pour la problématique historique régionale. Jacques Bujard (pp. 33-40), en présentant les résultats des fouilles opérées à Môtiers dès 1995 par l’Office des monuments et des sites, signe un hommage à Paul Vouga en forme de réponse aux réflexions émises par le chercheur à l’aube de sa carrière archéologique. Alors que les travaux de terrain ont permis d’identifier la présence d’une église dès le VIe ou le VIIe siècle, le mobilier mis au jour invite à remonter encore le temps. Il en va ainsi de la fibule gallo-romaine étudiée par Denis Genequand (p. 41), et de l’ensemble céramique présenté par Michelle Joguin Reguelin (pp. 42-43) qui atteste, quant à lui, la continuité de l’occupation entre le Ier siècle de notre ère et le début du Moyen Age.

Très fouillée, présentant des documents d’archives inédits et nombre de citations, l’analyse de Claus Wolf (pp. 47-81) aborde la mise en place par Paul Vouga de sa « Classification du néolithique lacustre », travail dont la base méthodologique – la stratigraphie – constitue une innovation majeure pour l’archéologie, alors que la classification elle-même produit une avancée considérable pour la chronologie du Néolithique européen : « ... ein Meilenstein in der Erforschung des europäischen Neolitikums... » (p. 47). La réception de ces travaux par la discipline est abordée, tant en Suisse qu’en Europe; les échanges et discussions développés en particulier avec Hans Reinerth, figure archéologique d’importance en Allemagne, mettent en lumière l’existence de courants de recherche déjà divers, alors qu’ils révèlent l’envergure internationale de Paul Vouga.

Même s’il reconnaît le rôle majeur de Paul Vouga dans la mise en oeuvre de la méthode stratigraphique, Noël Coye (pp. 83-99) porte un regard global sur la démarche du chercheur; il nous dit la complexité d’une approche empirique, puisant dans différents courants de pensées en refusant tout dogmatisme, dépassant certains antagonismes méthodologiques ; en réalité parfaitement à l’image des études préhistoriques européennes de l’entre-deux-guerres.

Les intérêts de Paul Vouga n’étaient pas limités aux rives lacustres. Cynthia Dunning (pp. 101-109) nous le rappelle ici en évoquant son implication dans les travaux touchant les tertres funéraires de l’Age du Fer. Entre 1910 et 1922, puis en 1929 et 1935, il entreprend l’identification et l’exploration systématique des tumuli neuchâtelois (un catalogue présente ces interventions en fin de contribution).

Rédigé en 2001, l’article de Gilbert Kaenel (pp. 111-125) a le ton d’un vibrant appel à la mobilisation des scientifiques européens qui contribuerait à offrir au site de La Tène l’étude d’ensemble qu’il mérite. C’était avant que de nouveaux travaux de fouille ne soient entrepris en 2003 (1), et que 2007, année de la commémoration de la découverte du site en 1857, n’imprime un influx positif avec de nombreuses manifestations nées de la collaboration entre le Laténium (Neuchâtel), le Musée Schwab (Bienne) et le Musée national (Zurich), et avec la mise en route de plusieurs projets de recherche soutenus par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (2). Mentionnons également ici le sanctuaire du Mormont, près d’Yverdon (VD) qui livre, depuis sa découverte fortuite en 2006, des centaines de fosses et des ensembles de mobilier dans un état de conservation exceptionnel ; considéré actuellement comme l’espace sacré le plus important du peuple helvète, c’est peut-être du Mormont que viendra l’impulsion qui permettra à G. Kaenel de réaliser finalement un projet déjà envisagé en 1991, puis entre 1995 et 1997 « ... un corpus raisonné des trouvailles de ce site éponyme et mythique. » (p. 121)

En évoquant la naissance puis les premières décennies de l’existence de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Neuchâtel, Pierre-Yves Chatelain (pp. 127-136) montre comment les circonstances historiques, politiques et scientifiques mais aussi les personnalités de William Wavre et de Paul Vouga ont favorisé l’engagement de cette Société savante dans l’exploration des stations lacustres. Enthousiasme des origines, déception puis éloignement, telles semblent avoir été les étapes de la relation entre historiens et archéologues neuchâtelois entre les milieux des XIXe et XXe siècles.

Le regard de Jean-Pierre Vouga, (pp. 139-151), fils aîné de Paul, disparu peu après la sortie du livre, ne pouvait manquer de nous faire rencontrer finalement l’homme lui-même, au-delà de son oeuvre. Dans une succession de tableaux, où ces petites histoires qui ont le don de redonner vie à un nom ne manquent pas, l’auteur retrace les grandes étapes du parcours personnel de Paul Vouga. Voici «Budge» comme le surnommait sa soeur Marguerite, puis «Mégot » pour les Zofingiens. Le cursus scolaire de P. Vouga est classique avec baccalauréat puis licence ès lettres et doctorat en philologie. L’on découvre les qualités d’enseignant du scientifique, à l’Ecole de Commerce de Neuchâtel d’abord, puis à l’Université où il occupe dès 1919 la chaire extraordinaire d’archéologie pré- et protohistorique nouvellement fondée. Le savant fut inventeur avec l’idée de la « virole » pour fouiller les sites lacustres immergés et audacieux lorsqu’il s’approcha de l’Aérodrome fédéral pour réaliser les premières photos aériennes. Dans sa soixantième année, atteint gravement par la maladie, il choisit d’en finir ; nous sommes en mai 1940 alors que les Allemands entrent dans Paris.

Ces mélanges autour de la figure de Paul Vouga, associant bilan d’une contribution scientifique majeure et histoire de la recherche archéologique entre les milieux du XIXe et du XXe siècle invitent à chercher, en un regard très global, quelques faits majeurs de notre discipline, à Neuchâtel, au long du siècle passé, pour mieux aborder le présent.

L’archéologie neuchâteloise de la première moitié du XXe siècle aura vu l’exploration fructueuse des stations lacustres, Paul Vouga et la mise en place de sa chronologie du Néolithique ; celle de la deuxième moitié aura vécu les grands travaux d’infrastructures publiques (3), les publications de la série Archéologie neuchâteloise (4), Michel Egloff et le Laténium (5). L’on ne peut que croire en un prochain épisode tout aussi actif, marqué peut-être, entre autres, au plan politico-économique, par une redéfinition du mode de financement de l’archéologie préventive. « ... l’archéologie a affaire à des sources non renouvelables que les pouvoirs publics ont pour mission de préserver ou, du moins, d’étudier avant destruction. Pour assurer la sauvegarde et l’étude de ces témoins, il faut donc adapter le financement aux nouvelles exigences de notre discipline et à une conscience accrue face aux destructions qui ont lieu quotidiennement. » (6)

1) G. REGINELLI SERVAIS, «La Tène revisitée en 2003 : résultats préliminaires et perspectives », dans P. BARRAL et al. (dir.), L’âge du Fer dans l’arc jurassien et ses marges : dépôts, lieux sacrés et territorialité à l’âge du fer. Actes du XXIXe colloque international de l’AFEAF, Bienne, 5-8 mai 2005, Besançon, 2007, pp. 373-389.

2) Voir entre autre : K. ALT, La Tène: la recherche – les questions – les réponses. La publication sur l’état de la recherche et son histoire. Catalogue d’exposition (2007-2009; Musée Schwab Bienne, Landesmuseum Zürich), Bienne, 2007; M. HONEGGER et al. (dir.), Le site de La Tène : bilan des connaissances – état de la question. Actes de la Table ronde internationale de Neuchâtel, 1er-3 novembre 2007, Neuchâtel, 2009.

3) G. KAENEL (éd.), 30 ans de grands travaux. Quel bilan pour la préhistoire suisse ? Actes du colloque de Bâle (13-14 mars 1998), Lausanne, 1998.

4) M.-A. KAESER, «Archéologie neuchâteloise : deux décennies de publications », Revue historique neuchâteloise, 2003, 1, pp. 5-43.

5) M. EGLOFF, « Le temps, la pensée, l’objet », dans L. CHENU (éd.), Laténium pour l’Archéologie, Le nouveau Parc et Musée d’archéologie de Neuchâtel. Neuchâtel, 2001, pp. 43-47; «Le Laténium: un projet muséographique et sa réalisation », rencontre avec Michel Egloff, propos recueillis par C. Briner, Dossiers d’Archéologie 333, mai-juin 2009, pp. 12-17; M.-A. KAESER, « Le Laténium, consécration de deux siècles de recherches et d’enthousiasme archéologiques », Ibidem, pp. 5-9.

6) D. LEESCH, F. BACHMANN, R. MICHEL, «Quel avenir pour l’archéologie préventive en Suisse après les grands travaux? » Les Nouvelles de l’Archéologie 73, 1998, pp. 27-34.

Citation:
Marie-Hélène Grau: Compte rendu de: Marc-Antoine KAESER (dir.), De la mémoire à l’histoire : l’oeuvre de Paul Vouga (1880-1940). Des fouilles de La Tène au « néolithique lacustre ». Neuchâtel, Service et musée d’archéologie (Archéologie neuchâteloise, 35), 2006, 165 pages. Première publication dans: Revue historique neuchâteloise, année 146-4, 2009, p. 413-416.

Redaktion
Veröffentlicht am
23.12.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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